Hier, mon amie Valérie, qui est thérapeute polyamoureuse, me partageait son désarroi face à une situation que j’ai aussi constatée sur divers groupe polyamoureux sur les médias sociaux: Nous ne sommes plus un safe space pour les débutants et les personnes qui ont des difficultés. Il suffit qu’une personne fasse un post exprimant des difficultés dans l‘ouverture de son couple ou des montagnes-russes émotionnelles causées par les classiques crises de jalousie du début pour que quelqu’un y voie une invitation à venir se péter les bretelles sur comment il-elle est rendu au-dessus de tout ça et a vraiment tout compris comment ça marche le polyamour.
Les problèmes des gens sont souvent accueillis avec condescendance plutôt qu’avec empathie. On oublie qu’on a déjà été à leur place, et qu’on les a faites nous aussi, nos erreurs de débutants.
De l’aveu de mon amie therapeute, qui constate au quotidien le ressenti des débutants, voire des vétérans qui rencontrent des obstacles dans leur pratique du polyamour — les difficultés relationnelles ne sont pas l’apanage des nouveaux — cette absence d’accueil lorsque quelqu’un fait face aux difficultés tout à fait normales de s’adapter au polyamour crée une sorte d’élitisme qui rend la communauté inaccessible. Il faudrait avoir toute sa vie amoureuse complètement sous contrôle pour être assez bon pour arborer ses galons de polyamoureux.
Mon amie Isa Lutine a une expression pour décrire cela. Elle dit qu’il faudrait être une PPP: Personne Polyamoureuse Parfaite. On essaie tous de l’être, et il n’y a pas a priori de mal à vouloir devenir la meilleure version de soi-même. Mais il ne faut pas pour autant tomber sous l’emprise du mythe qu’un jour, on ne rencontrera plus aucune difficulté, que la jalousie sera une chose du passé a laquelle on n’aura plus jamais a se confronter.
Solidarité
L’une des utilités d’être une communauté est de se sentir moins seul. De savoir qu’il y a d’autres personnes dans notre situation. Je suis devenue polyamoureuse à peu près au même moment que se créait le groupe Polyamour Montréal. Nous étions environ une douzaine autour d’une table de restaurant la première fois qu’un membre fondateur a créé un événement Meetup pour voir s’il y avait un intérêt a faire des rencontres entre polyamoureux. J’ai rencontré des gens qui en étaient, tout comme moi, à leurs débuts de réflexions sur la non-monogamie éthique et à leurs premières expériences,. Nous avancions tous à petits pas. Et nous avons tous fait de monstrueuses erreurs de débutants. Mais heureusement, il n’y avait personne de tellement expérimenté dans le groupe pour nous faire sentir comme de la merde parce qu’on n’avait pas encore déjà tout compris avant même d’avoir eu le temps de commencer.
On a eu le temps et l’espace de découvrir par nous-mêmes que la triade n’est pas le seul format de polyamour envisageable, que le privilège de couple pose des problèmes éthiques, et que d’avoir son partenaire qui découche un soir n’est peut-être pas la fin du monde. Nous avons appris cela pas à pas, sans passer pour de parfaits débiles parce que nous devions commencer par le commencement.
Aujourd’hui, Polyamour Montréal et les nombreux autres groupes nés un peu partout dans le monde francophone depuis ont grandi de manière exponentielle. Le temps a passe, et une proportion non négligeable d’entre nous sommes devenus familiers avec les enjeux entourant le polyamour, et avons appris à maîtriser tout un tas d’habileté qui rendent sa pratique au quotidien plus facile. Mais il y a encore, et il y aura toujours, des nouveaux. Qui plus est, il y aura toujours des anciens qui font face à de nouvelles difficultés, car si certaines choses deviennent nettement plus faciles avec le temps, on continue de rencontrer, tout au long de notre vie polyamoureuse, de nouveaux défis qu’on n’aurait même pas imaginés auparavant. Ce serait dommage que nos groupes, qui contiennent désormais des tas de membres en mesure d’aider les autres grâce à leur expérience, devienne plutôt un endroit ou on se sent obligé d’être parfait-e, au risque de se faire tomber dessus par la « police du polyamour.»
Ai-je la patience?
Parfois, il est vrai qu’en tant que vétérans du polyamour, il y a des questions qu’on n’a plus envie d’entendre. « Où est-ce qu’on pourrait rencontrer une femme pour inclure dans notre couple? » « Mon partenaire n’arrête pas de s’ajouter des blondes et il n’a plus de temps pour moi » « Mon mari m’interdit certaines positions sexuelles avec mes autres partenaires. »
Certains jours, on n’a pas la patience de répondre avec empathie à des questions auxquelles on a répondu déjà 200 fois. Ces jours-là, au lieu de tomber sur la tomate de la personne qui se pose vraiment cette question — et qui est parfaitement en droit de se la poser! — il vaut mieux se rappeler que, tout comme ce ne sont pas les autres qui nous causent de la jalousie, mais qu’ils sont seulement le déclencheur d’une émotion qui est déjà là à l’intérieur de nous, les autres ne sont pas non plus responsables de notre impatience.
Ces jours-là, je nous suggère de prendre quelques grandes respirations, et plutôt laisser quelqu’un qui a la patience de répondre de manière constructive et avec empathie. Il y a toujours quelqu’un qui a le temps et l’énergie pour répondre aux questions des débutants. Si vous n’avez pas la patience aujourd’hui, laissez quelqu’un d’autre s’en charger plutôt que de répondre de risquer de blesser quelqu’un en les faisant sentir honteux alors qu’il faut au contraire beaucoup de courage pour exposer ses vulnérabilités face à un groupe.
Ai-je l’empathie?
Parfois, il s’est passé tellement d’années depuis que nous avons rencontré une difficulté particulière du polyamour que nous avons complètement oublié combien tout ça était difficile et douloureux. On se rappelle vaguement des crises que nous ou nos partenaires ont piquées, mais c’est loin derrière nous, au point où cela peut sembler dérisoire. Si vous êtes sous l’impression que les problèmes de quelqu’un sont risibles, vous n’êtes assurément pas en mesure de les aider. La personne qui peut aider est celle qui se rappelle combien c’était difficile, et qui est capable de dire sincèrement que « c’est vraiment la merde; je suis désolée que ca t’arrive », pas la personne qui va faire sentir que « tu fais du drame pour rien» ou « quoi? Encore le meme probleme? tu es pas encore passé-à autre chose? »
Minimiser les problèmes des autres, nier leur ressenti, les faire douter de la réalité de leur expérience, invalider leur cheminement, contribuent à perpétuer le sentiment d’isolement et d’être inadéquat-e. Ce dont les gens ont besoin, c’est d’encouragement, de se faire dire que leurs émotions sont normales, que les problèmes qu’ils rencontrent peuvent être surmontés.
Suis-je constructif-ve?
Parfois, il faut éduquer certaines personnes sur la manière de faire partie d’une communauté qui se veut un safe space. Certaines personnes n’ont jamais entendu parler d’inclusivité, et perpétuent dès lors dans leur discours les préjugés qu’ils ont appris dans la société en général: racisme, sexisme, homophobie, transphobie, polyphobie, capacitisme, sex-négativité, etc. Le but n’est pas de leur taper sur la tête jusqu’à ce qu’ils aient tellement honte d’exister qu’ils quittent le groupe à tout jamais. Éduquer efficacement commence par se mettre à la place de la personne qui ne connaît pas un concept ou n’a jamais eu a l’intégrer dans son discours, et se demander de quelle manière on aimerait que les autres nous expliquent ca. On peut éduquer quelqu’un qui tient un discours involontairement offensant à l’égard de certaines personnes dans la communauté, sans pour autant laisser entendre que la personne était mal intentionnée, ou qu’elle vient de commettre une faute irréparable. Nous sommes tous en apprentissage.
Si vos interventions auprès des néophytes et des personnes en souffrance ne répondent pas aux critères de patience, d’empathie et de constructivité, peut-être vaut-il mieux prendre un peu de recul et éviter de commenter certains posts.
Quand on est rendu « trop bon » pour accompagner la souffrance et les défis des autres avec compassion, on peut faire plus de mal que de bien avec nos commentaires. Comme principe dans nos interventions auprès des gens qui demandent conseil, je propose la phrase d’introduction au serment d’Hypocrate: Primum non nocere, ce qui signifie: « Avant tout, ne pas nuire. »
Affectueusement,
Marie-Claude
alias Hypatia