En 2018, un de mes héros et role-model depuis mes premiers balbutiements dans le polyamour, Reid Mihalko, celui à qui nous devons la pieuvre de la jalousie à 8 pattes, a été accusé d’agression sexuelle. Ca a dû prendre un sacré courage à la victime pour dénoncer une personne connue! Ca a dû prendre un sacré courage à Reid pour avoir l’humilité d’admettre que même s’il enseigne et pratique de son mieux le consentement (c’est son métier d’être sex educator), il l’avait moins bien mis en pratique qu’il ne croyait. Son premier réflexe a, bien entendu, été de nier que c’était arrivé. Mais — et c’est là que je suis fière de dire que c’est encore plus mon héros aujourd’hui — il s’est rétracté, et a eu la volonté d’écouter, d’apprendre et de grandir à travers cette épreuve. Lui et ses victimes, accompagnés de membres de la communauté qu’il désigne du nom de accountability pod, ont débuté un processus de justice réparatrice/justice transformative, concepts sur lesquels je reviendrai plus loin dans cet article. Parce que Reid Mihalko est un personnage public bien connu dans la communauté polyamoureuse américaine, son processus se devait en quelque sorte d’être public également, afin que toute la communauté bénéficie de son exemple. Il a documenté étape par étape le processus de redevabilité (accountability process) par lequel lui et ses victimes ont été accompagnés dans le but de réparer l’offense qui a été commise, dans la mesure du possible.
Je ne m’y connais pas beaucoup sur le sujet dont je parle aujourd’hui, c’est pourquoi je ne vais pas prétendre parler de ma propre expertise. Cet article vise essentiellement à amener à l’attention de la communauté polyamoureuse le fait qu’il existe déjà de la documentation sur comment prendre soin de ce genre de problème lorsqu’on y est confrontés, en tant qu’individu et en tant que collectivité. Mon but est également de rendre disponible en français quelques bribes d’une documentation sur ce sujet essentiel.
Le premier réflexe
Bien entendu, le premier réflexe est de nier. De dire qu’on n’a pas commis ce dont on est accusé. En partie par peur d’une éventuelle « punition ». Mais aussi par peur du stigmate sociale qui touche les transgresseurs. Notre société fonctionne comme s’il existait une dichotomie absolue entre les bons et les méchants, entres les victimes et les agresseurs. Surtout, nous vivons avec l’idée d’une impardonnabilité et d’une irréparabilité qui font qu’on ne veut même pas admettre avoir peut-être commis une erreur. Alors on n’en sors pas.
Selon Reid Mihalko, la réponse la plus appropriée lorsque quelqu’un nous informe que nous leur avons causé du tort est : « Merci de me le dire. Serais-tu prêt-e à m’en parler davantage. » Et d’écouter. Et d’essayer de comprendre.
Écouter n’est pas une chose facile à faire, mais est fondamentale dans un monde où les gens se heurtent à des représailles, à du déni et du gaslighting lorsqu’ils osent nommer les abus dont ils ont été victimes.
Des alternatives à notre système de justice totalement foireux
En matière d’agression sexuelle, peu importe que l’on se trouve au Québec, aux États-Unis ou en Europe, le système de justice pénale fait piètre figure dès qu’il est question d’agression sexuelle. L‘Institut National de Santé Publique du Québec estime que moins de 10 % des agressions sexuelles vécues par des adultes sont rapportées et enregistrées par les services de police, montrant que les données policières ne représentent que la pointe de l’iceberg de toutes les agressions sexuelles commises. En 2017, on estimait que pour 1000 agressions sexuelles déclarées, seulement 3 menaient à une condamnation de l’accusé. Et lorsqu’un agresseur est effectivement mis derrière les barreaux, qu’en retire-t-on vraiment? Comment sait-on qu’il ne récidivera pas une fois sorti? S’imagine-t-on encore, en 2020, que mettre une personne derrière les barreaux en fait une personne meilleure? Je ne crois pas.
On comprend par ailleurs que pour la très grande majorité des victimes de viol, d’agression sexuelle ou de harcèlement, la guérison ne passe pas par un processus judiciaire. Mais quelles sont les autres options?
Justice restorative
La Justice Restorative est une approche où le transgresseur, avec la guidance de professionnels et le soutien de sa communauté, travaille à réparer les torts causés à la victime, tout en développant la sensibilisation et les compétences nécessaires pour comprendre comment les méfaits se sont produits et empêcher de répéter de tels méfaits. Plutôt que d’exiler le transgresseur de la communauté, le rejeter ou le mettre en prison, ce qui empêche la possibilité de le réintégrer dans la communauté, la Justice Restorative implique que les transgresseurs, les survivants et la communauté travaillant en collaboration, centrés sur les besoins de guérison du survivant.
Les objectifs de la justice restorative sont les suivants :
- Reconnaître ses torts
- S’excuser
- Réparer
- Réduire les risques de causer du tort à nouveau
Justice transformative
Alors que la Justice transformative partage des objectifs similaires avec la Justice Restorative — et que les termes sont parfois utilisés de manière interchangeable — la Justice Transformative se concentre sur la transformation de la dynamique et des conditions qui ont permis qu’un préjudice soit possible en premier lieu.
Il n’est pas toujours possible de réparer les dommages causés à ceux qui sont blessés, notamment parce que les victimes ne souhaitent pas toujours impliquer leur agresseur dans leur processus de guérison, ni participer dans le processus de réhabilitation du transgresseur, ce qui est leur droit. Ceci n’empêche toutefois pas les membres de la communautés, possiblement accompagnés de professionnels qualifiés, de procéder à une rééducation visant le développement d’une meilleure empathie et la déconstruction de schèmes de pensée entourant, notamment, la culture du viol.
Etre accusé-e d’agression sexuelle n’est pas la fin de votre vie, ce peut être le début de votre transformation.
Affectueusement,
Marie-Claude L’Archer
alias Hypatia