Il y a 10 ans, lorsque j’ai assisté à la première rencontre de ce qui allait devenir Polyamour Montréal Communauté, avec une douzaine d’autres personnes, dans une petite salle réservée au Végo sur St-Denis, le polyamour était un phénomène vraiment marginal et underground.
On n’aurait pas deviné que notre orientation relationnelle deviendrait virale et aussi connue en aussi peu de temps. À ce jour, la communauté montréalaise compte 6300 membres et va en augmentant.
Non seulement le nombre de polyamoureux s’est-il multiplié, mais de très nombreux non-monogames savent enfin que le polyamour existe.
En partie parce que nous sommes de plus en plus nombreux à être out sur notre façon de vivre les relations multiples. Et en partie grâce à nos « amis » les médias.
Comme vous le savez peut-etre déjà, j’ai publié cette année un livre portant sur la déconstruction des mythes entourant la monogamie : Pourquoi pas le polyamour? C’est une belle victoire personnelle car j’ai bossé dessus pendant les 4 dernières années. Et c’est – dépendamment de notre point de vue – possiblement une belle victoire pour la communauté polyamoureuse, parce qu’il a été publié aux Éditions de l’Homme, qui est une filiale de Québécor Média.
On peut penser ce qu’on veut de cette multinationale qui contrôle la quasi-totalité des médias québécois, reste qu’elle est représentative de (et contrôle) ce que M. et Mme. Toulemonde regarde, écoute et lit.
Pour une très grande majorité, le polyamour reste une sorte de phénomène de foire, à observer à l’écran en mangeant son souper décongelé au micro-ondes, dont il sera distrayant de discuter avec les collègues demain au boulot : « Eille, avez-vous vu l’émission hier? Y’a du monde qui ont plus qu’un partenaire pi y sont toutes au courant. Y’en a même qui couchent toutes ensemble! » Mais pour d’autres, entendre parler de polyamour touche une corde sensible en leur faisant envisager l’amour et les relations sous un autre jour. Cela peut s’avérer une découverte trop confrontante pour être agréable, ou encore une véritable épiphanie pour les personnes qui ne se sont jamais senties tout à fait à l’aise dans les relations monogames et ont le sentiment tenace qu’en dépit de tous leurs efforts, la vie de couple ne leur convient pas vraiment.
Ça fait déjà quelques années que je m’interroge à savoir si le fait que le polyamour devienne viral dans les sociétés occidentales est une bonne ou une mauvaise chose. Comme bien souvent, je finis par me répondre « un peu des deux ».
Là où je trouve ça positif :
- Ceux qui ont besoin de vivre le polyamour entendent plus facilement parler que cette option existe.
- Plus les gens savent ce qu’est le polyamour, plus ça devient facile de sortir du placard.
- Plus les gens comprennent ce qu’est le polyamour, moins il y a de préjugés et de discrimination (même si on a encore un loooooong chemin à faire.
Là où j’ai des doutes :
- Plus le polyamour devient répandu, plus il y a de chances que des gens choisissent cette orientation relationnelle sans vraiment y réfléchir. Juste parce que tout le monde autour d’eux fait ça. Juste parce que ça a l’air ouvert d’esprit. Ou pour toutes les mauvaises raisons qu’on passe notre temps à dénoncer parce qu’elles font mauvaise presse à notre communauté : peur de l’engagement, s’imaginer qu’être polya donne carte blanche pour faire tout ce qu’on veut sans égard pour nos partenaires, se donner bonne consciente lorsqu’on trompe son partenaire, etc. etc. etc. Les mauvaises raisons de se donner l’étiquette de polyamoureux sont légion.
Il y a 10 ans, quand on choisissait le polyamour, on devait avoir de sacrées raisons de s’embarquer dans une telle aventure. RIen n’étais simple. À commencer par trouver des partenaires. Quand tu connais seulement une vingtaine de polyamoureux•ses, bonne chance pour en trouver qui sont compatibles! (Notons que ce défi existe toujours pour les gens qui habitent en région…) Par ailleurs, simplement dire le mot « polyamour » à des monogames signifiait invariablement qu’on allait devoir expliquer en long et en large et se taper des tas de commentaires désagréables, car personne ne savait de quoi il s’agissait. Il fallait être blindé•e pour encaisser le sentiment de marginalité qui venait avec un tel sujet.
Aujourd’hui, dans certains milieux, on peut se dire polyamoureux•se avec autant de désinvolture que si on disait qu’on est doitier•ère ou gaucher•ère. Personne ne relève l’information comme étant hors du commun.
Lorsqu’un phénomène devient banalisé, les gens n’ont pas besoin de réfléchir longtemps avant de se joindre au mouvement, et c’est cette facilité à agir-sans-réfléchir qui m’inquiète. Je ne voudrais pas qu’on se retrouve avec une communauté qui ne réfléchit pas suffisamment avant de s’engager dans une orientation relationnelle. Personne n’a rien à y gagner.
N’empêche, je suis une optimiste, j’ai donc bon espoir que le polyamour demeurera synonyme de choix éclairés, de relations conscientes et de croissance personnelle.
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