Parler de sexualité polyamoureuse avec des personnes monogames est un sujet potentiellement glissant. Les monogames ont beaucoup de questions sur comment ça se passe dans la chambre à coucher des polyamoureuses et polyamoureux. La question qui tue? « Est-ce que vous avez du sexe tous ensemble? ».
En dépit de l’hypersexualisation que l’on observe dans les sociétés occidentales — le sexe, omniprésent et largement lié au consumérisme, sert à vendre tout et n’importe quoi, de la voiture sport à l’antisudorifique — la sexualité est encore perçue comme un aspect de la vie humaine d’une valeur moindre. Lorsqu’on veut discréditer la valeur d’une relation ou insinuer qu’elle est peu respectable, ils disent que c’est « juste du sexe1 ». Lorsqu’on veut au contraire faire valoir la légitimité d’une relation, ils disent au contraire que c’est le Grand Amour2. L’amour est noble, le sexe est vil.
Ainsi, lorsqu’un groupe marginalisé veut que ses relations soient reconnues comme socialement acceptables, la tendance est d’en faire valoir la dimension amoureuse et d’en minimiser la dimension sexuelle. Par exemple, pour faire tourner l’opinion publique en leur faveur lorsqu’elles revendiquaient le droit de se marier et d’adopter des enfants, les communautés gaies et lesbiennes ont mis de l’avant les dimensions amoureuse et familiale de leurs relations. Ceci visait à contrer la vision hypersexualisée des hétérosexuels ont à propos des couples homosexuels. Pour être acceptés, les gais et lesbiennes ont minimisé leur différence et leur exhubérance en démontrant qu’ils étaient « comme les hétéros »3. C’est ce que Stevi Jackson, professeure d’Études des Femmes à l’Université de York appelle « l’hétérosexualisation des gais et lesbiennes »4. Malheureusement, cela renforce le statu quo concernant ce qui est défini comme une sexualité « normale » plutôt que remettre en question les idées reçues.
Je fais un parallèle avec les polyamoureux. Lorsqu’ils argumentent que leurs relations et leur sexualité sont « comme les relations monogames » pour se faire accepter par une société mononormative, ils renforcent l’idée que la monogamie est la norme selon laquelle on juge si une relation est valable ou pas. Plus on veut être acceptable et accepté en se conformant au modèle dominant, plus on occulte et discrimine les spécificités des relations polyamoureuses. C’est, ce que j’appelle, faisant écho à Stevi Jackson, la « monogamisation des polyamoureux ».
On en revient encore et toujours au même combat : les prochains groupes marginaux qui voudront voir leurs relations acceptées socialement devront eux aussi prouver au monde entier que leurs relations ne sont pas « que du sexe », plutôt que de seulement être authentiquement ce qu’ils sont et de revendiquer d’être acceptés comme tel.
C’est pourquoi la « sexepositivité » est essentielle au polyamour, de même qu’à toutes les orientations relationnelles et sexuelles cherchant à échapper à la discrimination.
Au lieu de tenter de minimiser la dimension sexuelle du polyamour et en niant les spécificités de la sexualité polyamoureuse pour qu’elle réponde aux critères limitatifs d’une société qui voit encore la sexualité comme un besoin plus ou moins important, les polyamoureux peuvent au contraire promouvoir la sexepositivité et affirmer avec fierté que, c’est vrai, les polyamoureuses et polyamoureux ont ont davantage de partenaires sexuels, ont généralement plus de sexe que les couples monogames et rapportent, selon les études, une satisfaction plus élevée face à leur vie sexuelle. Et puis, pour ceux qui veulent vraiment le savoir, certains polycules aiment effectivement avoir du sexe tous ensemble. Par ailleurs, aussi contradictoire que cela puisse paraître, le polyamour est tout à fait adapté aux personnes asexuelles, qui n’ont ni envie ni besoin de sexe dans leur vie pour être heureux. Toutes les variations existent dans le polyamour, et les polyamoureux ne devraient pas sentir le besoin de s’en justifier.
C’est un paradoxe qu’en tant que communauté, nous soyons divisés sur l’angle à adopter, certains se battant bec et ongles pour faire valoir la validité des relations multiples en plaidant qu’elles sont basées sur l’amour et non sur la sexualité, tandis que d’autres militent pour leur liberté de vivre chaque relation comme ils l’entendent, sans avoir à en minimiser la dimension sexuelle pour se rendre respectable aux yeux de personnes qui ont une vision péjorative de la sexualité et une morale limitante concernant l’usage de notre corps.
Il est difficile d’affirmer haut et fort qu’en tant que polyamoureux, nous avons une vie sexuelle plus riche et diversifiée dans un monde qui croit encore que le sexe est vil s’il n’est pas vécu dans le cadre strict d’une relation monogame long terme. N’empêche, je ne peux pas pour ma part prétendre que ma vie sexuelle ressemble à celle de M. ou Mme tout le monde. Pour moi, un threesome n’est pas quelque chose qui existe seulement sur Pornhub: c’est ma réalité de n’importe quel mardi soir ordinaire, n’en déplaise à celles et ceux qui affirment avec une colère ou une envie mal dissimulées que les polyamoureux veulent le beurre et l’argent du beurre. Sur ce point, ils ont effectivement raison : la plupart des polyamoureux ne veulent pas choisir entre la sécurité des relations durables et l’excitation des relations nouvelles. Ils veulent les deux5. Et je n’ai jamais entendu à ce jour un argument démontrant de manière convaincante pourquoi ils ne le devraient pas.
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