Un article publié récemment a suscité une discussion intéressante sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler « faire du drame ». L’auteur attire notre attention sur le fait que sur de nombreux sites de rencontres, l’un des critères souhaités par plusieurs personnes pour un partenaire potentiel est « pas de drame ». À première vue, on est tous d’accord. On veut tous nager dans le bonheur, et personne n’aime se taper les élans histrioniques d’une personne qui fait une tempête dans un verre d’eau. Dans ce refus du drame, je vois du bon et du mauvais.
Un sexisme sous-jacent
Selon Tinder, qui a examiné les profils de ses utilisateurs américains plus tôt cette année, les hommes hétérosexuels étaient trois fois plus susceptibles d’utiliser des expressions indiquant leur refus du drame dans une relation que les femmes hétérosexuelles. Les profils d’utilisateurs gays et lesbiennes incluaient ces phrases beaucoup moins souvent. Le fait est que la perception et l’expression des sentiments est le plus souvent une question genrée. Que l’on s’identifie comme homme, femme ou autre a une incidence sur comment on ressent les émotions, comment on les gère, et comment on les exprime à ses partenaires. Les femmes pleurent plus souvent, décrivent leurs émotions en utilisant un vocabulaire différents (elles y mettent davantage de qualificatifs, notamment), etc. Lorsqu’un homme hétérosexuel dit qu’il ne veut pas de drame, il laisse peut-être entendre qu’il juge inadéquate la manière dont les femmes vivent et expriment leurs émotions, par opposition à sa propre manière de gérer ses émotions, qu’il érige dès lors en standard. Pas besoin de spécifier en quoi il s’agit de sexisme. Une vision saine et égalitaire de l’expression des émotions consiste à voir dans les différences de genre qu’il y a des avantages et des inconvénients aussi bien aux modalités masculines que féminines, et que chacun peut apprendre de l’autre. Je suggère donc, lorsqu’on dit qu’on ne veut pas de drame dans une relation, d’examiner si nos motivations ne comportent pas une part de sexisme sous-jacent.
Ceci dit, l’analyse statistique effectuée par les sites de rencontres en ligne révèle autre chose : Une autre application de rencontres, OkCupid, a examiné les profils 2018 de tous ses utilisateurs aux États-Unis sans distinction d’orientation sexuelle et a constaté que 47% des hommes milléniaux déclaraient qu’ils voulaient une relation exempte de drame, tout comme 25% des membres de la génération X et 12% des baby-boomers.
Non à l’abus!
S’il est possible d’interpréter cela comme voulant dire que les hommes sont de moins en moins ouverts à dealer avec les problèmes dans la vie de leurs partenaires et qu’ils s’imaginent pouvoir trouver quelqu’un qui n’a jamais d’émotions à exprimer ou de phases difficiles auxquelles faire face, j’aime à penser qu’il y a aussi une autre explication, beaucoup plus positive. Je crois que les jeunes générations sont davantage sensibilisées à des phénomènes comme l’abus verbal et la violence psychologique. Ils ont grandi en entendant parler des bienfaits de la communication non violente, et dès la petite école, on les a encouragés à exprimer sainement leurs émotions plutôt que de les réprimer comme on le faisait pour les générations précédentes. Le féminisme desserre peu à peu l’étau de la masculinité toxique qui obligeait les petits garçons à avoir l’air tough et virils.
Dès lors, ne pas vouloir de drame dans une relation ne signifie plus qu’on ne veut pas faire face aux difficultés et aux émotions qui surviennent, mais qu’on sait qu’on n’est pas condamnés à accepter qu’un partenaire fasse état de ses émotions de manière abusive ou destructrice. On sait qu’il y a des manières saines de gérer les conflits dans un couple. Par respect de soi, on n’accepte pas que certaines limites soient dépassées, et par respect de l’autre, on s’engage à ne pas dépasser ces limites non plus.
Mais où tracer la ligne?
On vit tous des affaires trash et des émotions vraiment intenses. Le polyamour suscite en nous des émotions souvent plus fortes et complexes que ce qu’on croirait pouvoir gérer. La ligne est mince entre »vivre ses émotions » et »faire du drame ». Mais à défaut de savoir où tracer la ligne, on peut très bien se retrouver à accepter l’inacceptable, ou le faire subir à nos partenaires. Voici donc mes 2 sous de sagesse sur comment tracer la ligne. Le mot d’ordre est auto-responsabilité :
- Est-ce que je prends la responsabilité de mes émotions, ou est-ce que j’accuse mes partenaires d’être responsables de la souffrance que je vis et je mets tout sur le dos de tout le monde? En d’autres mots, est-ce que je joue la victime?
- Est-ce que je peux exprimer mon émotion sans utiliser la manipulation et la violence psychologique?
- Est-ce que mes émotions sont liées à la réalité, ou est-ce que je me fais des scénarios dans ma tête?
- Est-ce que j’ai plusieurs sources de soutien et moyens de m’aider à remonter la pente, ou est-ce que je vais m’agripper à une seule personne comme ma bouée de sauvetage jusqu’à ce que cette personne se noie avec moi dans mes problèmes?
- Est-ce que je fais ce qu’il faut pour que ces situations arrivent le moins souvent possible, ou est-ce que je m’auto-sabote et recrée inconsciemment ce genre de situation comme un pattern malsain? (certaines personnes ont une addiction inconsciente aux émotions intenses et n’ont par conséquent aucune motivation à ne pas se remettre dans des situations qui vont leur causer lesdites émotions)
- Est-ce que j’accepte d’avoir de l’aide professionnelle lorsque ma situation le requiert, ou est-ce que j’insiste pour « gérer ça moi-même », ou encore, est-ce que j’oblige mes partenaires à jouer un rôle de thérapeute qui n’est pas le leur?
- Lorsqu’une situation ne semble pas avoir de solution immédiate, ou lorsque les émotions sont trop intenses pour avoir une discussion constructive, est-ce que je suis capable de prendre du recul et un temps de réflexion? Est-ce que je peux accepter de laisser du temps et de la distance lorsque mon partenaire demande un temps de réflexion?
Et vous, qu’est-ce qui vous permet de départager entre la saine expression d’émotions et le drame?
Affectueusement,
Hypatia
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