Vers 380 avant J.-C., le philosophe grec Platon racontait comme suit l’origine des sexes et du désir amoureux : anciennement, les humains étaient en forme de sphère appelée androgyne. Étant dotés d’une grande force et d’un grand courage, ils tentèrent d’escalader le ciel pour combattre les dieux. Offensées par une telle insolence, les divinités délibérèrent sur la manière de punir les humains. Zeus condamna ces êtres sphériques à être séparés en deux moitiés, l’une mâle, l’autre femelle. Une fois ainsi divisé, chacun se mit à regretter son autre moitié : les humains allèrent les uns vers les autres s’enlaçant, dans le désir de se fondre à nouveau ensemble afin de retrouver leur état de complétude initiale.
Ce mythe, pour charmant qu’il soit, n’est que cela : un mythe. Et pourtant, nous grandissons avec l’idée que nous sommes incomplets, que nous avons besoin de l’Autre pour nous réaliser. Pour la personne socialisée femme, cette autre moitié qui la complétera prend la forme du prince charmant. Cette conception du soi incomplet est si intégrée dans la pensée populaire qu’elle fait partie du langage courant, grace à des expression telles que « ma douce moitié » et « on se complète bien ».
Je suis un tout
Cette idée que nous ne sommes que 50 % d’un tout est issue de la pensée mononormative selon laquelle chacun est complété par une unique autre personne. Mais, en tant que polyamoureux, l’équation devient vite effarante ; j’ai beau ne pas être super douée en maths, je sais que si j’ai deux partenaires, cela fait de moi 33.33 % d’un tout, que si j’en ai trois, je viens de tomber à 25 %, et ainsi de suite, jusqu’à l’annihilation statistique. Il est grand temps de tourner le dos à 2000 ans de perpétuation du mythe platonicien et de réaliser que nous sommes, chacun d’entre nous, intrinsèquement complet. Je suis 100 % d’un tout. Il ne manque rien. Il ne manque personne.
Certes, des êtres spéciaux ajoutent beaucoup à ma vie. De l’amour, du bonheur, de la croissance, du rire et des larmes. Et un sentiment d’appartenance – ce qui n’est pas la même chose que d’appartenir à quelqu’un d’autre, faut-il le préciser. Certaines de ces personnes resteront un moment puis partiront. D’autres resteront jusqu’à ce que la mort nous sépare. Mais dans tous les cas, leur présence à mes cotés ne signifie aucunement qu’ils sont ma moitié, ni que je suis la leur. S’ils partent, le vide qu’ils laissent ne signifie pas que je viens de perdre une partie de mon être.
Le sentiment d’être entier, un tout inaliénable, ça se cultive. Ça s’oublie aussi parfois. Dans le polyamour peut-être encore plus, parce qu’on peut éviter, en ayant toujours une personne de plus, de se confronter à sa solitude et d’avoir à travailler pour revenir en son centre. Là où l’on est complet, pas seulement la moitié d’un tout.
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