Cet article se veut une réflexion pas du tout achevée, un insigh sur une société différente de la mienne, vue de l’extérieur. Je demande au lecteur de s’exprimer avec bienveillance si cela ne correspond pas à sa vision.
L’adultère, deux visions
L’Europe a une longue tradition d’adultère socialement reconnu, de secret pas-si-secret. La maîtresse est une figure omniprésente dont on parle à mots couverts. Cette autre femme – qui symbolise aussi le spectre de l’autre homme – à qui l’on ne reconnait jamais sa légitimité, mais dont on ne nie pas pour autant l’existence.
Le Québec, quoique semblabe à la France sous plusieurs aspect, se rapproche davantage de la pensée américaine en ce qui concerne la conception de l’adultère : une franche hypocrisie qui fait qu’à chaque fois qu’une personne en couple en trompe une autre, nous jouons les vierges effarouchées qui n’avaient aucune idée que cela était possible. Comme si l’adultère n’existait que dans les téléséries et les romans à succès, mais pas dans la vie des vrais gens! À preuve, la réaction puérile du public face à la liaison notoire du Président Clinton avec Monica Lewinski. Une telle réaction aurait été inimaginable en France, où la vie sexuelle du Président n’est considérée des affaires de personne.
La Maîtresse comme archétype
Ces deux visions de l’adultère, normalisation en France, et déni en Amérique, s’acompagnent d’une vision des archétypes féminins. En Europe, il y a l’épouse légitime et la maîtresse. Une même femme peut incarner tantot l’une, tantot l’autre. Et bien entendu, ces archétypes s’appliquent aussi bien aux hommes.
Au Québec, l’archétype de la maîtresse n’existe pas. Du moins, pas comme on l’entend en Europe. La maîtresse est une anomalie, mais ne fait pas partie de comment on concoit la femme et ses divers rôles sociaux et archétypes. Pas que les Québécois n’ont pas de maitresses dans la réalité. Seulement, nous la conceptualisons différemment, par une sorte de déni collectif. Elle brille par son absence.
Et qu’est-ce que tout ca a à voir avec le polyamour?
D’après ce que je comprends du polyamour tel qu’il se vit de chaque coté de l’Atlantique, cette différence dans les archétypes a un impact majeur sur la manière dont les relations dites secondaires sont vécues dans le polyamour, voire dans la facon dont les partenaires secondaires se percoivent eux-même.
Le polyamoureux francais concoit d’emblée ses relations en vertu du modèle social qu’il connait, celui issu de la monogamie et du patriarcat ambiants.
Un amalgame se fait inconsciemment entre les partenaires dits secondaires (généralement ceux avec qui l’on n’habite pas) et l’archétype de la maitresse. Le contrat social autour de la maîtresse est le suivant : on connait son existence, mais on n’en parle pas, et on ne pose pas de questions.
Ainsi, nombre de polyamoureux européens perpétuent le vieux modèle et ne s’en trouvent apparemment pas plus mal. Enfin, c’est ce qu’on m’en a dit. Mais est-ce vraiment sans dommages? Nous y reviendrons plus loin.
Au Québec, ne disposant que de l’archétype de l’épouse légitime (ou du mari légitime), les polyamoureux se considèrent d’emblée tous partenaires légitimes, fussent-ils 3-4-5 personnes à partager ce rôle. Cela modèle les attentes face à la reconnaissance sociale, et face aux droits et privilèges attendus en tant que partenaires. Personne ne s’attend à être gardé comme un secret, du moins, pas indéfiniment. Si le coming out polyamoureux est une démarche qui se pense et s’effectue possiblement sur le long terme, il est généralement envisagé comme quelque chose que l’on fera tot ou tard, cacher un partenaire que l’on percoit comme légitime ne faisant aucun sens.
L’hypocrisie collective frappant l’Amérique concernant l’adultère a, par conséquent, un impact positivement inattendu sur le polyamour québécois : Celui-ci se vit et s’affirme non pas sous le modèle de l’adultère revu et corrigé, mais sous le modèle de la relation légitime, au grand jour, rendant le polyamour rapidement de plus en plus connu à la population en général.
L’opposition est présente, mais le soutien de la communauté la rend généralement tolérable. Certains vivent du rejet ou de la discrimination. Mais le plus souvent, la réaction des familles et amis des polyamoureux se résume dans cette phrase : « Tant que vous êtes heureux là-dedans, moi j’ai pas d’problème ». Les inconforts et les maladresses ne durent qu’un temps, jusqu’à ce que tout le monde s’habitue à cette étrange situation amoureuse.
La perpétuation de la tyrannie du patriarcat
En tant qu’étrangère avec un regard extérieur sur la situation francaise, je vais me permettre de me mêler de ce qui ne me regarde pas.
D’une part j’observe chez les polyamoureux francais une volonté féroce de mettre à mort les diktats du patriarcat (via un discours sur les oppressions sur différents groupes polyamoureux) et d’atteindre l’égalité des sexes. D’autre part, le polyamour, qui n’a en principe aucune obligation de se conformer à ces vieux schèmes usés, n’en perpétue pas moins certains éléments d’oppression, à savoir une hiérarchie entre les partenaires : la maîtresse sera toujours une femme qui a des droits et privilèges moindres que ceux de l’épouse légitime (encore une fois, maîtresse, en tant qu’archétype, s’applique aussi bien aux partenaires masculins).
Pourquoi? Les humains n’ont-ils pas tous la même valeur? Certains individus sont-ils moins méritants que d’autres pour qu’on les cache au reste de la société? Qu’est-ce qui détermine que les partenaires secondaires restent dans l’ombre, et que leurs besoins soient mis en veilleuse, sinon l’oppression de veilles normes sociales patriarcales et mononormatives que l’on prétend par ailleurs vouloir abolir?
La parole est à vous, toutefois je précise que les attaques personnelles et les commentaires non constructifs ne seront pas tolérés sur ce blogue. On peut être en désaccord tout en demeurant bienveillants.
Hypatia