Marie-Claude L'Archer - Le blogue

L’archétype de la maîtresse et son impact dans le polyamour

par | Nov 14, 2017 | Général, Sortir du placard | 6 commentaires

Cet article se veut une réflexion pas du tout achevée, un insigh sur une société différente de la mienne, vue de l’extérieur. Je demande au lecteur de s’exprimer avec bienveillance si cela ne correspond pas à sa vision.

L’adultère, deux visions

L’Europe a une longue tradition d’adultère socialement reconnu, de secret pas-si-secret. La maîtresse est une figure omniprésente dont on parle à mots couverts. Cette autre femme – qui symbolise aussi le spectre de l’autre homme – à qui l’on ne reconnait jamais sa légitimité, mais dont on ne nie pas pour autant l’existence.

Le Québec, quoique semblabe à la France sous plusieurs aspect, se rapproche davantage de la pensée américaine en ce qui concerne la conception de l’adultère : une franche hypocrisie qui fait qu’à chaque fois qu’une personne en couple en trompe une autre, nous jouons les vierges effarouchées qui n’avaient aucune idée que cela était possible. Comme si l’adultère n’existait que dans les téléséries et les romans à succès, mais pas dans la vie des vrais gens! À preuve, la réaction puérile du public face à la liaison notoire du Président Clinton avec Monica Lewinski. Une telle réaction aurait été inimaginable en France, où la vie sexuelle du Président n’est considérée des affaires de personne.

La Maîtresse comme archétype

Ces deux visions de l’adultère, normalisation en France, et déni en Amérique, s’acompagnent d’une vision des archétypes féminins. En Europe, il y a l’épouse légitime et la maîtresse. Une même femme peut incarner tantot l’une, tantot l’autre. Et bien entendu, ces archétypes s’appliquent aussi bien aux hommes.

Au Québec, l’archétype de la maîtresse n’existe pas. Du moins, pas comme on l’entend en Europe. La maîtresse est une anomalie, mais ne fait pas partie de comment on concoit la femme et ses divers rôles sociaux et archétypes. Pas que les Québécois n’ont pas de maitresses dans la réalité. Seulement, nous la conceptualisons différemment, par une sorte de déni collectif. Elle brille par son absence.

Et qu’est-ce que tout ca a à voir avec le polyamour?

D’après ce que je comprends du polyamour tel qu’il se vit de chaque coté de l’Atlantique, cette différence dans les archétypes a un impact majeur sur la manière dont les relations dites secondaires sont vécues dans le polyamour, voire dans la facon dont les partenaires secondaires se percoivent eux-même.

Le polyamoureux francais concoit d’emblée ses relations en vertu du modèle social qu’il connait, celui issu de la monogamie et du patriarcat ambiants.

Un amalgame se fait inconsciemment entre les partenaires dits secondaires (généralement ceux avec qui l’on n’habite pas) et l’archétype de la maitresse. Le contrat social autour de la maîtresse est le suivant : on connait son existence, mais on n’en parle pas, et on ne pose pas de questions.

Ainsi, nombre de polyamoureux européens perpétuent le vieux modèle  et ne s’en trouvent apparemment pas plus mal. Enfin, c’est ce qu’on m’en a dit. Mais est-ce vraiment sans dommages? Nous y reviendrons plus loin.

Au Québec, ne disposant que de l’archétype de l’épouse légitime (ou du mari légitime), les polyamoureux se considèrent d’emblée tous partenaires légitimes, fussent-ils 3-4-5 personnes à partager ce rôle. Cela modèle les attentes face à la reconnaissance sociale, et face aux droits et privilèges attendus en tant que partenaires. Personne ne s’attend à être gardé comme un secret, du moins, pas indéfiniment. Si le coming out polyamoureux est une démarche qui se pense et s’effectue possiblement sur le long terme, il est généralement envisagé comme quelque chose que l’on fera tot ou tard, cacher un partenaire que l’on percoit comme légitime ne faisant aucun sens.

L’hypocrisie collective frappant l’Amérique concernant l’adultère a, par conséquent, un impact positivement inattendu sur le polyamour québécois : Celui-ci se vit et s’affirme non pas sous le modèle de l’adultère revu et corrigé, mais sous le modèle de la relation légitime, au grand jour, rendant le polyamour rapidement de plus en plus connu à la population en général.

L’opposition est présente, mais le soutien de la communauté la rend généralement tolérable. Certains vivent du rejet ou de la discrimination. Mais le plus souvent, la réaction des familles et amis des polyamoureux se résume dans cette phrase : « Tant que vous êtes heureux là-dedans, moi j’ai pas d’problème  ». Les inconforts et les maladresses ne durent qu’un temps, jusqu’à ce que tout le monde s’habitue à cette étrange situation amoureuse.

La perpétuation de la tyrannie du patriarcat

En tant qu’étrangère avec un regard extérieur sur la situation francaise, je vais me permettre de me mêler de ce qui ne me regarde pas.

D’une part j’observe chez les polyamoureux francais une volonté féroce de mettre à mort les diktats du patriarcat (via un discours sur les oppressions sur différents groupes polyamoureux) et d’atteindre l’égalité des sexes. D’autre part, le polyamour, qui n’a en principe aucune obligation de se conformer à ces vieux schèmes usés, n’en perpétue pas moins certains éléments d’oppression, à savoir une hiérarchie entre les partenaires : la maîtresse sera toujours une femme qui a des droits et privilèges moindres que ceux de l’épouse légitime (encore une fois, maîtresse, en tant qu’archétype, s’applique aussi bien aux partenaires masculins).

Pourquoi? Les humains n’ont-ils pas tous la même valeur? Certains individus sont-ils moins méritants que d’autres pour qu’on les cache au reste de la société? Qu’est-ce qui détermine que les partenaires secondaires restent dans l’ombre, et que leurs besoins soient mis en veilleuse, sinon l’oppression de veilles normes sociales patriarcales et mononormatives que l’on prétend par ailleurs vouloir abolir?

La parole est à vous, toutefois je précise que les attaques personnelles et les commentaires non constructifs ne seront pas tolérés sur ce blogue. On peut être en désaccord tout en demeurant bienveillants.

Hypatia

 

chapitres

Tous les articles

Retour sur les apprentissages

J’ai eu une conversation très intéressante aujourd’hui au sujet de la gratitude. Ma réflexion portait essentiellement sur les rencontres faites dans les derniers mois. On parle beaucoup des défis à surmonter dans ce foisonnant univers du polyamour. Aujourd’hui j’ai...

Le polyamour goes viral

Il y a 10 ans, lorsque j'ai assisté à la première rencontre de ce qui allait devenir Polyamour Montréal Communauté, avec une douzaine d'autres personnes, dans une petite salle réservée au Végo sur St-Denis, le polyamour était un phénomène vraiment marginal et...

Polyamour et sexepositivité

Polyamour et sexepositivité

Parler de sexualité polyamoureuse avec des monogames est un sujet potentiellement glissant, car c’est là que les préjugés se font le plus sentir. Ils ont beaucoup de questions sur comment ça se passe dans la chambre à coucher des polyamoureux, avec, le plus souvent, la question qui tue : « Est-ce que vous avez du sexe tous ensemble? »

Anxiété et limites personnelles

Anxiété et limites personnelles

Hier je parlais avec mon amie Valérie qui est thérapeute, lui disant combien j’ai de la difficulté à identifier mes limites personnelles. Que je n’ai pas de signal qui me dit « Hey, tu es en train d’aller plus loin que ce dont tu es capable! » Et mon amie, qui me connait tellement bien et qui est très sage de me répondre :  »Et ton anxiété? tu trouves pas qu’elle est là pour t’indiquer quand tu les dépasses, tes limites? » Boom! Dans mes dents!!!

Lettre aux polyamoureux aguerris

Lettre aux polyamoureux aguerris

Hier, mon amie Valérie, qui est thérapeute polyamoureuse, me partageait son désarroi face à une situation que j’ai aussi constatée sur divers groupe polyamoureux sur les médias sociaux: Nous ne sommes plus un safe space pour les débutants et les personnes qui ont des difficultés.

Est-ce que ca devient plus facile avec le temps?

Est-ce que ca devient plus facile avec le temps?

Hier, j’ai eu une mauvaise journée. J’en avais plein mon cul de tout un paquet d’affaires, incluant le polyamour. J’en avais plein mon cul de mes peurs, de mes doutes, de me sentir fragile. Pour ma défense, j’étais en plein SPM. Donc toutes mes émotions étaient amplifiées. N’empêche, une fois de temps en temps, j’aurais envie de baisser les bras et être monogame, juste pour que ce soit plus facile.

Que faire si on m’accuse d’agression sexuelle?

Que faire si on m’accuse d’agression sexuelle?

En 2018, un de mes héros et role-model depuis mes premiers balbutiements dans le polyamour, Reid Mihalko, celui à qui nous devons la pieuvre de la jalousie à 8 pattes, a été accusé d’agression sexuelle. Ca a dû prendre un sacré courage à la victime pour dénoncer une personne connue! Ca a dû prendre un sacré courage à Reid pour avoir l’humilité d’admettre que même s’il enseigne et pratique de son mieux le consentement (c’est son métier d’être sex educator), il l’avait moins bien mis en pratique qu’il ne croyait. Son premier réflexe a, bien entendu, été de nier que c’était arrivé. Mais — et c’est là que je suis fière de dire que c’est encore plus mon héros aujourd’hui — il s’est rétracté, et a eu la volonté d’écouter, d’apprendre et de grandir à travers cette épreuve.

Thème : Général